Depuis que je vis en Suède, une question me trotte dans la tête : pourquoi les Suédois n’ont pas de rideaux ? Ou plutôt, pourquoi ils en ont mais ne les ferment jamais ? Parce que sérieusement, quand ils en ont, c’est clairement juste pour la décoration.

Maintenant que les nuits tombent à 15h, je rentre chez moi dans le noir complet. Et là, impossible de l’ignorer : je vois tout. L’intérieur des maisons. Les gens qui regardent la télé dans leur chambre. Une dame qui plie du linge. Un salon entier éclairé comme une vitrine de Noël. Zéro volets. Zéro rideaux tirés. Rien.

Au début, je me suis dit que c’était juste mon quartier. Puis j’ai compris : c’est culturel. Et ça en dit long sur la manière dont les Suédois conçoivent l’intimité.

La lumière avant tout

En Suède, le soleil se fait rare plusieurs mois par an. Entre novembre et février, il se lève vers 9h et se couche vers 15h. Alors chaque rayon compte. Les intérieurs suédois sont conçus pour capter un maximum de luminosité naturelle : grandes fenêtres, murs blancs, rideaux translucides ou inexistants.

Ce n’est pas juste une question d’esthétique. C’est presque un besoin biologique. Fermer ses rideaux en plein jour ? Impensable. Ce serait se priver volontairement de ce bien précieux. La lumière, ici, c’est vital.

L’intimité, c’est dans la tête, pas derrière un rideau

Mais alors, la vie privée dans tout ça ?

Eh bien, c’est là que ça devient fascinant. En France, on protège l’intimité visuellement : on ferme les volets, on tire les rideaux. En Suède, c’est l’inverse. L’intimité n’est pas une frontière physique, c’est un état d’esprit.

Tu peux voir l’intérieur d’une maison suédoise, mais tu ne regardes pas vraiment. C’est une convention tacite, un contrat social silencieux : je te laisse voir, mais tu ne me regardes pas. On respecte la vie privée sans la barricader.

Cette transparence reflète d’ailleurs une valeur culturelle plus large. Les Suédois ont une culture de la transparence sociale et administrative (les registres publics, par exemple). Ne pas se cacher derrière de lourds rideaux, c’est une manière de dire « je n’ai rien à dissimuler ». On montre un intérieur simple, ordonné, paisible. Un peu comme un reflet de soi.

Le sauna, la nudité et l’intimité mentale

D’ailleurs, ça explique aussi pourquoi ils sont tous nus au sauna sans que ça pose problème. Le corps n’est pas perçu comme intrinsèquement sexuel ou honteux. C’est naturel, hygiénique, culturel.

Pour les Suédois, l’intimité véritable, celle qui compte, c’est celle de l’esprit, des émotions, de la parole. C’est là qu’ils se protègent. Ils sont pudiques dans leurs sentiments, dans leur vie personnelle, mais pas dans la mise en scène de leur quotidien matériel.

On peut être transparent dans son espace de vie et totalement impénétrable émotionnellement. Les deux ne se contredisent pas.

Mais quand même, pour le crac-crac…

Bon, j’ai quand même posé la question qui tue : ils font comment pour… enfin, vous voyez. Parce que quand même, on ne va pas me dire qu’ils font ça aux vues et au su de tout le monde.

La réponse ? Il y a une distinction subtile entre les espaces de représentation (salon, cuisine) et les espaces vraiment privés (chambre). Le salon, c’est ce qu’on montre : « voici ma vie simple, ordonnée, lumineuse ». La chambre, elle, reste sobre, moins éclairée, retirée du regard.

Et surtout, le paysage lumineux évolue au fil de la soirée comme une respiration collective.

La chorégraphie de la lumière

Entre 16h et 19h, les maisons suédoises s’illuminent comme des lanternes. On allume les lampes de fenêtre, les guirlandes, les bougies. C’est l’heure du retour à la maison, du repas, du cocon. La version “ouverte” du foyer.

Puis, plus la soirée avance, plus les lumières se déplacent vers l’intérieur invisible. Les salons s’assombrissent, les lampes de fenêtre restent parfois allumées comme signe de vie, mais les pièces de vie s’éteignent une à une. Vers 23h-minuit, il ne reste souvent qu’une seule lumière tamisée. La maison murmure encore, mais ne se montre plus.

Les fenêtres deviennent presque un langage social. À 16h-17h, elles disent « je suis rentrée, il fait nuit, mais ma maison est chaude et vivante ». À minuit, elles disent « je me retire du monde, doucement ».

Dans ce pays où la lumière est rare, on ne ferme pas les volets : on la sculpte.

Ce que les rideaux m’ont appris

Vivre en Suède m’apprend que l’intimité, ce n’est pas toujours ce qu’on croit. Elle ne se cache pas forcément derrière un rideau. Elle se tient dans le silence et la retenue. C’est une pudeur d’un autre ordre : mentale, émotionnelle, profonde. #SoSwedish

Et moi qui pensais que laisser mes fenêtres ouvertes, c’était inviter le monde à regarder chez moi. En fait, c’est juste inviter la lumière à entrer.

With Love, Christabel

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